Lys en Scène
AFFICHES et CREATION de l'Avare
L’Avare est une des pièces les plus jouées du répertoire. Ce mélange unique de comique et de tragique crée un genre tout à fait nouveau : la grande comédie dramatique. Molière en est l’inventeur : c’est l’œuvre de sa vie. Molière est inquiet. Les recettes de son théâtre parisien, fermé sept semaines en 1667, sont en berne, faute de représentations. Pourtant il est comédien du Roi-Soleil, fournisseur de ses plaisirs. Après s’être fait acclamer des années, comme il est souvent à Versailles, il ne s’appartient plus et Paris oublie vite. Racine, le grand rival, consacre Mlle Du Parc, sa maîtresse, dans Andromaque, en novembre. Non seulement celui-ci lui a ravi sa comédienne, mais il triomphe dans le genre que Molière admire le plus, la tragédie. Quelle ironie ! Exténué, malade d’une fluxion de poitrine, trompé par sa femme, Molière se cache à Auteuil. Il panse ses plaies. Il écrit. Il présente Amphitryon, comédie en vers, en janvier 1668, et George Dandin en juillet. La cour est séduite. Mais à Paris le public boude. Sa culture latine lui fournit alors un sujet de farce : l’Aulularia (la marmite) de Plaute, histoire d’un vieillard pauvre qui cache son trésor de peur d’être volé. Et, à La Belle Plaideuse, de Boisrobert, il emprunte des scènes entières pour sa nouvelle pièce. L’Avare est présenté le 9 septembre 1668 : une grande comédie de cinq actes en prose. Molière joue le bourgeois Harpagon qui craint d’être dépouillé et cache son or. Il veut se débarrasser de ses enfants en les mariant contre leur volonté. Lui-même désire épouser la jeune fille aimée de son propre fils. Toute sa maison se ligue contre ce funeste projet en lui dérobant ses écus pour faire triompher l’amour et le bon droit. Harpagon renonce à tout pour récupérer sa cassette en laissant un barbon providentiel régler tous les frais de la noce. Le critique Robinet aime la pièce « pleine de gais incidents, jouée par une troupe excellente ». Molière est la vie même, son jeu est incarné, empreint de vérité, et fait rire. Le succès tarde pourtant... Jouée huit fois en septembre, la pièce est retirée faute de recettes. Les raisons de l’échec sont à chercher dans la longueur de la pièce en prose, à l’heure où la grande tragédie versifiée règne. Et le personnage d’Harpagon inquiète autant qu’il amuse. L’avare est un vieillard cupide qui finit seul. L’amour filial, la famille, l’honneur, tout est bafoué. Jouée quarante-sept fois du vivant de Molière, L’Avare l’est peu au XVIIIe siècle, puis le rôle est repris par les plus grands comédiens à partir des XIXe et XXe siècles. La noirceur d’Harpagon, sa solitude les fascinent, que la pièce soit jouée comme une farce ou comme un drame. Dans une interprétation restée fameuse, Charles Dullin y est magistral.
ACCUEIL de l'Avare
En ce début de septembre 1668, il fait terriblement chaud. La salle du Palais-Royal dans laquelle je viens d'entrer pour assister à la première de l'Avare n'est pas ventilée. Je sue à grosses gouttes et je plains les acteurs qui devront déployer des trésors d'énergie pour faire rire le public par leur gestuelle, en particulier Louis Béjart pour La Flèche et Molière pour Harpagon. Cela sera d'autant plus difficile que le grand acteur est dramaturge doit sans cesse affronter les cabales manigancées par ses ennemis, qui s'acharnent contre lui. Mais Louis XIV, fin connaisseur en matière d'art, le soutien. Le souverain lui a d'ailleurs octroyé cette splendide salle du Palais-Royal où les comédiens du roi jouent en alternance avec une autre troupe, celle des Italiens, animée par le fameux Scaramouche, acteur qui improvise ses spectacles à partir de canevas dans la tradition de la commedia dell’arte. Ils sont talentueux eux aussi et la troupe de Molière s'inspire beaucoup de leur manière de jouer pour rendre plus drôle encore ses comédies.
Est-ce que ce soir le succès sera suffisamment au rendez-vous pour que Louis XIV demande à Molière d'aller jouer pour lui l'Avare à Versailles ? J'assiste à chacune de ces premières représentations mais je fréquente également les autres théâtres. La concurrence est rude. D'autres troupes sont implantées depuis très longtemps à Paris. Celle du Marais doit peu les inquiéter car elle est sur le déclin malgré le triomphe du Cid de Corneille en 1636, mais celle des comédiens de l'Hôtel de Bourgogne remporte de nombreux succès. Elle
est dirigée par le jaloux Bellerose qui a fait à plusieurs reprises des propositions d'engagement aux acteurs de Molière pour lui nuire. Va-t-il envoyer ce soir le comédien Montfleury pour qu'il raille une fois de plus la diction exagérée de Molière ? Je n'espère pas. Je me faufile dans la salle rectangulaire. La chaleur est de plus en plus écrasante à mesure que le public entre ! Il y a environ 1500 places. Devant cette cohue, les acteurs vont vraiment devoir se surpasser ! Les 700 spectateurs du parterre, qui ont payé les places les moins chères sont debout. Ils n'ont de cesse de faire du bruit et de s'agiter en tous sens et je ne parle même pas des nobles assis de chaque côté de la scène, qui eux ne se gênent
pas pour aller et venir en plein spectacle ! Une large part du public vient aussi aux représentations uniquement pour se montrer. Cela explique d'ailleurs que la salle ne soit pas dans l'obscurité mais illuminée par de nombreux chandeliers. Il en faut de l'énergie pour parvenir à soulever l'intérêt et à faire rire le public dans de telles conditions. Être comédien et réellement un métier difficile et je dois avouer que pour le grand amateur de théâtre que je suis, il est bien difficile de suivre une représentation en restant concentré.
On annonce enfin que la pièce va commencer ! J'aperçois les premiers acteurs qui entrent en scène. Je ris à gorge déployée mais je suis un des rares. Je crois que la pièce a dérouté le public qui s'attendait à une œuvre moins romanesque et écrite en vers. La fin a été jugée invraisemblable. Ils n’y connaissent rien. Je suis pour ma part convaincu qu'elle deviendra un jour l'un des grands classiques du théâtre français !